
j'avais six ans
comme tout le monde
j’habitais rue Châteauguay
j’aimais m’asseoir en bordure des choses
du haut de l’escalier voir la fin de la nuit
et comme un veilleur m’en souvenir
au parc Durocher
les arbres dormaient au-dessus des toits
mais bientôt l’aube de la basse-ville
allait réveiller
certaines fleurs paresseuses
la nuit deviendrait un objet perdu
une ancienne photographie
j’aimais la calligraphie de la lumière
je voulais savoir d’où venait le soleil
j’avais six ans
dans chacun de mes gestes
se devinait le miroir des autres
mon visage
je le découvrais
j’apprenais le passé de mon nom
je ne m’étais jamais égaré
en dehors du cœur
en moi le vent froissait l’âme d’un moineau
dans le quartier Saint-Sauveur
le ciel était un pantalon
oublié sur la corde
un verbe plus léger
mais j’ignorais que la vie
se briserait si vite
qu’un soleil blessé
saignerait longtemps dans ma voix
j’étais seul en haut de l’escalier
j’avais six ans
j’espérais que le jour
allait tout remettre debout
j’avais hérité d’une pauvre flamme
je la protégeais au creux des mains
j’apprenais à écrire
les arbres dormeurs du parc Durocher
la rue Châteauguay de tout le monde
la nuit en haut de l’escalier
le ciel le pantalon
l’âge et l’âme d’un moineau
le soleil blessé la pauvre flamme
je n’ai rien oublié
j’avais six ans
Michel Pleau, Une auberge où personne ne s’arrête, Écrits des forges, 2022, p. 11-14.